L’histoire du Fooding par Alexandre Cammas : un mouvement qui dépoussière la bouffe avec ” le goût de l’époque ”
La rencontre avec Alexandre Cammas, fondateur du Fooding
Aujourd’hui, Alexandre Cammas, fondateur du guide d’hôtellerie-restauration et média événementiel, prescripteur du « goût de l’époque », Le Fooding, est avec Daniel Coutinho, Raphaële Marchal et Léo Corcelli. Ensemble, c’est 20 ans d’histoire que nous parcourons.
Comme bon nombre de ses homologues auvergnats de Paris et membres de sa famille, Alexandre Cammas intègre une école hôtelière après le bac, sans grande conviction. Elle lui donne cependant l’envie de devenir un gentil rebelle, trublion et agitateur de la cuisine française. Mais ce qui anime réellement le jeune homme, c’est la pop culture à la sauce Nova Mag et Radio, co-fondés par son mentor, Jean-François Bizot. Au début des années 1990, il écume cuisines et salles de cafés pour appréhender le métier. Mais l’évidence lui apparaît rapidement : il ne se destine pas à une carrière de cafetiers.
« A cette époque-là, dans les années 90, tous les grands arts et même les plus petits arts, ont fait leur révolution, sauf la bouffe. »
En parallèle de ses services, il publie des chroniques dans Gault et Millau, Libération, Le Journal du Dimanche, où il affirme son style et sa liberté. Mais il découvre aussi un microcosme qu’il juge poussiéreux, dans lequel les critiques manquent de déontologie, ne règlent pas leurs additions et où les grands chefs ont pignon sur rue et occupent toute la scène. Il finit par se consacrer au journalisme, ce qui l’amène à voyager à Londres à la fin des années 1990 pour découvrir la New British Food, une cuisine sexy, jeune, créative, goûtue, branchée et vivante qui n’existe pas encore à Paris. À une époque où tous les arts font leur révolution, la bouffe doit s’y mettre aussi. De retour à Paris, il s’attèle à dépeindre et valoriser des restaurants et chefs originaux comme Frédérik Grasser Hermé qui propose du poulet au coca, Paul Pairet et son Café Mosaic ou Alain Ducasse et le Spoon dans les pages restaurants de Nova Mag.
La naissance du Fooding avec Emmanuel Rubin et Julie Andrieu
Alexandre Cammas revient dans cet épisode sur la naissance du Fooding. Lors d’un bouclage du supplément Nova Mag, il trouve une rime pour décrire ces nouveaux lieux incarnés par ces chefs : « Plus fort que le Clubbing, le Fooding ». Après la publication, des échos de ce nouveau mot se font entendre, il tient quelque chose. Le Fooding commence à prendre forme. Il contacte les journalistes Emmanuel Rubin, Julie Andrieu et Jean-Christophe Napias, pour leur exposer le projet. Ils adhèrent. Les réunions mensuelles puis hebdomadaires s’enchainent et se succèdent.
Entre éthique et surprise, le Fooding met un point d’honneur à régler toutes ses additions. Le critère ultime d’appréciation d’une table étant : ai-je envie de revenir m’attabler dans ce restaurant ? Ils se font aussi et surtout connaître avec leurs évènements, très remarqués et décalés.
Les évènements de Marine Bidaud
La partie événementiel est principalement tenue par Marine Bidaud, associée d’Alexandre, recrutée pour un stage de 2 mois qui est finalement restée et devenue associé rapidement. Entre bataille de Fontainebleau, dégustation de macarons sur des Japonaises nues, chefs de palaces qui cuisinent de la street-food, invités stars – Philippe Katerine, Ariel Wizman, Edouard Baer, Joey Starr – les évènements Fooding attirent et attisent les foules. Grâce à la force de leur media événementiel, ils rencontrent leur partenaire de toujours, San Pellegrino, avec lesquels ils collaborent depuis plus de 20 ans, toujours avec la même envie.
« Subitement, désacraliser la gastronomie, c’était pas du tout anodin et ça reste un combat. »
Après une première décennie florissante, la fin des années 2000 rime avec téléphone mobile. Site internet et application se développent. Comme le reste, l’application est disruptive, elle est développée en format horizontal et payante. Mais ça fonctionne, les 30 000 téléchargements sont atteints. Le temps de l’indépendance est aussi venu, avec le succès de la première publication du guide à compte d’auteur qui affirme le style Fooding, du goût de l’époque. Malgré des difficultés juridiques rencontrées avec Fleury Michon et des changements internes au Fooding, Alexandre Cammas et Marine Bidaud, se battent et parviennent à asseoir le succès et la crédibilité de leur guide. Ils se placent en opposition à la gastronomie traditionnelle française, obnubilée par les étoiles Michelin. Les catégories des prix Foodings sont amenées à changer chaque année. Il ne s’agit pas de faire rentrer des restaurants dans des cases, mais de savoir si l’on a envie de revenir, et pourquoi.
Le Fooding à New York puis les Etats-Unis
Forts de ces réussites, ils s’exportent à New York en 2009 et organisent un événement au MOMA PS1, succursale du célèbre musée. Le succès est tel que le New Yorker consacre un article au Fooding qui annonce que le mouvement est à la bouffe ce qu’est la nouvelle vague au 7ème art. Les succès en Europe et aux Etats-Unis s’enchainent. Le Fooding organise des évènements qui font toujours plus de bruit comme Les Grands Foodings d’été, food market avant l’heure, ou les pop-up restaurants ouverts non-stop pendant 72 heures. Le Fooding s’intéresse avant tout à la modernité de l’époque et à ses sujets de société et plus d’une fois, avant les autres : évoquer et réagir aux questions du genre, des violences en cuisine, de l’écriture inclusive, des attentats, est naturel.
Le rachat du Fooding par Michelin
Alexandre Cammas évoque aussi les raisons du rachat du guide par Michelin à partir de 2017 ainsi que son départ l’an passé, et nous révèle ses projets post-Fooding. Il revient également sur sa vision du paysage gastronomique contemporain : entre digital, influence et conséquences du Covid. Il envisage les prochains grands défis auxquels le Fooding et la bouffe devront se confronter.
« Je pense que le guide Fooding ne peut pas se développer tant que le guide Michelin n’est pas clair sur son positionnement. »
Le Fooding d’Alexandre Cammas aura eu son lot de critiques, il a pu être imité, mais jamais égalé. Va-t-il garder son ADN unique au sein de groupe Michelin ? L’avenir nous le dira, et en attendant, rendez-vous le 10 juillet prochain au festival « Bon esprit de clocher » pour déguster les produits et paysages de l’Aubrac d’Alexandre Cammas, qui propose les pizzas récompensées par le Fooding en 2020, des cocktails pensés et exécutés par Amaury Guyot, un concert piano solo de Bachar Mar-Khalifé et un DJ set d’Aurèle.